dimanche après-midi

Cocons de vers à soie, 195 x 80 x 80 cm. 2013

Exposition :

  • Equation à n inconnues, 2013

Dimanche après-midi, ou la douce abdication du désir

Constance Lombard, septembre 2013

Dimanche après-midi. Curieuse mise en scène que cette cabine aux dimensions restreintes (195cm de hauteur, 80 cm de largeur, 80 cm de profondeur), étrangement vide, accueillante par la blancheur douce et ouatée de son matériau (plusieurs milliers de cocons de vers à soie délicatement enfilés les uns avec les autres), angoissante par ses dimensions réduites et l’absence de sujet dans son enceinte. Rien d’agressif ni d’accusateur dans cette installation, si ce n’est qu’elle invite indéniablement le spectateur à y pénétrer et à faire ainsi l’expérience troublante d’une confortable claustrophobie. Le malaise s’accroît lorsqu’un parfum morbide se dégage de l’œuvre : dans leurs cocons immaculés et soyeux, les vers sont morts et leur odeur enveloppe le sujet qui s’y est de lui-même plongé. L’invitation à la détente, au relâchement induit par le terme de « cocooning » devient une oppressante sensation d’enfermement d’autant plus inattendue que l’objet ne figure en rien une prison. La solitude diaphane des vers à soie évoque alors imperceptiblement l’enfermement clinique des aliénés dans des cellules pareillement capitonnées. L’innovation introduite par Martine Bartholini consiste à pointer du doigt que cet isolement – sorte d’enfermement euphémisé- est volontaire puisque le spectateur pénètre de son propre grès dans l’espace symboliquement clos. Prendre soin de soi, se dorloter, s’octroyer une bulle de bien-être, telle est à peu près la revendication hédoniste du sujet contemporain soumis aux agressions de la vie urbaine et aux déprimes économiques. Comment ne pas voir dans cette aspiration régressive un renoncement radical à tout « conatus » , à tout désir de persévérer dans l’être– dits en terme spinoziste- ou plus simplement à toute volonté de conquête du monde qui, dans les conceptions modernes de l’individu, semblait guider le développement humain qu’il soit individuel ou collectif. L’œuvre interroge alors cruellement son visiteur (à tous les sens du terme) sur son propre désir : dans un monde désenchanté, où l’homme est à lui-même sa propre fin, où le pluralisme des valeurs dérive insensiblement vers le relativisme, n’y a-t-il pas le risque d’abdiquer toute ambition de transcendance  et de ne viser qu’un bien être individuel de retour à un état pré-embryonnaire ?

Cette absence de nuisance, ce repli sur soi, ce relâchement du désir, voici ce qu’est précisément le « cocooning », étrangement semblable à cet « épuisement général du vouloir vivre » décrit par Nietzsche dans Humain, trop humain, ou encore, une version sécularisée de la « religion narcotique » qui endort la souffrance et immerge la vie dans une tranquillité artificielle « le repos, le silence, la mer étale, la délivrance de soi » (Le Gai savoir aphorisme 370).


Martine Bartholini, Sculptrice

La résistance de la matière
mars 2014
Propos recueillis par Florence Nègre A propos de l’exposition Féminités à l’Espace Croix Baragnon à Toulouse du 22/01 au 15 mars 2014

Florence Nègre : Peux-tu nous parler de ton rapport à la matière ?

Martine Bartholini : Oui. En tant que sculptrice je suis confrontée à la matière, sa résistance. Ces pièces sont la résultante d’un travail à deux : la matière et moi. C’est vraiment un parcours à deux. J'essaie et réussis en partie mais la plupart du temps je dois m'adapter. J'écoute la matière, je la suis.

F.N. : Quelle est l’histoire de Dimanche Après-midi, la pièce en cocon de ver à soie ?

M.B.-S : C’est à l’occasion d’un voyage en Chine que j’ai vu ces cocons. J’ai commandé ce matériau en Chine parce qu’on n’en trouve plus en France et j’ai d’abord été très inhibée par sa beauté. Le matériau se suffisait à lui-même. La seule chose que je pouvais faire c’était plonger les mains dans le carton qui contenait les cocons. Il en  sortait des fils de soie. Pendant six mois, j’ai cherché ce que je pouvais faire avec. Un cocon, c’est quelque chose de doux, de protecteur, dans lequel on peut se lover. Il évoquait le cocooning, art de vivre très à la mode un temps où on arrangeait les intérieurs de façon confortable, pour se protéger chez soi. Pour moi le cocooning est un enfermement. Cela m’a aussi rappelé les chambres d’isolement capitonnées des hôpitaux psychiatriques. C'est devenu un cocon en cocons, une pièce sur l'enfermement que j'ai intitulée Dimanche Après-midi. Il y a quelque chose comme 9600 cocons. Je prends le cocon, une aiguille, du fil, je le perce, il faut faire attention à ne pas abimer la larve qui est dedans et  percer au milieu pour avoir quelque chose de rectiligne. Il faut aussi maitriser la matière. J’ai fait ce geste plus de 9600 fois. Quand je finis une pièce, je ne peux plus me servir de mes  mains. La douleur est présente. La sculpture, met le corps à l'épreuve. Le corps et le temps.

F.N. : Quelle était ta démarche pour Rosace, la pièce faite en boyaux de porc ?

M.B.-S : Mon intention, pour cette pièce, était toute autre. C’est la matière et le lieu qui m’ont dicté la pièce. Je voulais rendre hommage à David Cronenberg pour son film « eXistenZ » où les personnages vivent leur vie à travers un jeu vidéo et où ils sont en permanence reliés à lui par un cordon ombilical. J'ai voulu faire un énorme cordon ombilical en boyaux de porc.

Il faut parler anatomie. Il y a le gros et le petit intestin dans le porc. J’ai essayé de faire la pièce avec le gros intestin du porc qui est épais. J’ai essayé de le gonfler, de mettre du sable dedans, puis de la mousse polyuréthane. J’ai tout essayé ! L'odeur était épouvantable.

Mais la pièce que j’avais l’intention de faire n’a jamais pu sortir. Forte de cet échec j’ai dû faire autre chose.

Il se trouve qu'on m'a proposé  un lieu pour faire une exposition : une chapelle. Là, le lieu de l’œuvre est important. Dans cette chapelle, il y avait une fenêtre mais pas de vitrail. L’idée m’est venue assez vite d’une rosace en boyau de porc.

J'ai utilisé le petit intestin, acheté chez le charcutier dans la saumure mais qu’il faut encore nettoyer parce que l’odeur est épouvantable. C’était doux, mou et très agréable à toucher.

Malgré mon appel à une chimiste, il y a eu beaucoup d’essais. Je n’ai jamais pu rendre étanche le boyau de porc. La membrane reste poreuse, elle se dégonfle. Rosace est devenue Gorgone du fait de la résistance de la matière. Un amoncellement de boyaux, sous une autre forme.

F.N. : Au regard des matières choisies qu’en est-il du dégoût ?

M.B.-S : C’est vrai que j’aime les matières insolites. Dans ce que je donne à voir, il peut y avoir attrait-répulsion. Par exemple pour les boyaux de porc j’occulte complètement ce qu’ils sont. Mon propos n’est pas de travailler sur la tripaille.  Mais de ce que je peux transformer de la matière compte tenu du sens qui arrive grâce à elle. C'est un travail d'expérimentation, de recherches.

F.N. : Et pour Chimère, ta pièce faite en hosties ?

M.B.-S : J’ai deux pièces en couleur, faites en chambre à air de vélo (Idole et Vanitas-Paon II). Ici mes trois pièces sont blanches. Le blanc, la transparence, la translucidité, l’opalescence de même que l’éphémère m’attirent beaucoup. Les hosties s’inscrivent dans la veine de ces  matériaux J’ai éprouvé à nouveau une grande inhibition devant ces hosties parce que le matériau était très beau. C’est un cercle parfait, blanc, peu épais et translucide devant la lumière. Alors comme pour les cocons j’ai mis beaucoup de temps à trouver l’idée. La matière est première pour moi. Le sens vient ensuite, progressivement.

C’est au cours d’un opéra que j’en ai trouvé sa destination. La crucifixion dans la mise en scène m’a donné l’idée de Chimère où j’ai mélangé la sirène médiévale qui a une queue de poisson et la sirène antique qui a un buste de femme et un corps d’oiseau. Chimère est à la dimension de mon corps. Ce sont mes bras qui montent pour former les ailes et la crucifixion.

Pour Chimère, la confrontation à la matière a été redoutable. J’ai fait un support en grillage  recouvert de film alimentaire et posé petit à petit les hosties trempées dans l’eau, une par une. Il y en a plus de 16600. Répétition du même geste. Pour la deuxième couche d'hosties, ça a été ma salive. Je n’ai pas peur de passer beaucoup de temps sur une pièce. Certains de mes travaux sont sensibles au degré d’humidité de l’air. Pour Chimère ça a été terrible, elle a complètement fermenté. Ce fut un choc ! Il a fallu tout casser et recommencer. Ce sont les aléas de la matière.