vanitas Paon II

Chambre à air de vélos et laque industrielle, 110x80x65 cm. 2013

Le paon, figure de la vanité, ici, ne pavane plus du tout.

Même gonflée, sa roue qui lui donne toute sa prestance, ne tient pas.

Il a perdu ses ocellés et ne surveille plus personne.


Martine Bartholini, Sculptrice

La résistance de la matière
mars 2014
Propos recueillis par Florence Nègre A propos de l’exposition Féminités à l’Espace Croix Baragnon à Toulouse du 22/01 au 15 mars 2014

Florence Nègre : Peux-tu nous parler de ton rapport à la matière ?

Martine Bartholini : Oui. En tant que sculptrice je suis confrontée à la matière, sa résistance. Ces pièces sont la résultante d’un travail à deux : la matière et moi. C’est vraiment un parcours à deux. J'essaie et réussis en partie mais la plupart du temps je dois m'adapter. J'écoute la matière, je la suis.

F.N. : Quelle est l’histoire de Dimanche Après-midi, la pièce en cocon de ver à soie ?

M.B.-S : C’est à l’occasion d’un voyage en Chine que j’ai vu ces cocons. J’ai commandé ce matériau en Chine parce qu’on n’en trouve plus en France et j’ai d’abord été très inhibée par sa beauté. Le matériau se suffisait à lui-même. La seule chose que je pouvais faire c’était plonger les mains dans le carton qui contenait les cocons. Il en  sortait des fils de soie. Pendant six mois, j’ai cherché ce que je pouvais faire avec. Un cocon, c’est quelque chose de doux, de protecteur, dans lequel on peut se lover. Il évoquait le cocooning, art de vivre très à la mode un temps où on arrangeait les intérieurs de façon confortable, pour se protéger chez soi. Pour moi le cocooning est un enfermement. Cela m’a aussi rappelé les chambres d’isolement capitonnées des hôpitaux psychiatriques. C'est devenu un cocon en cocons, une pièce sur l'enfermement que j'ai intitulée Dimanche Après-midi. Il y a quelque chose comme 9600 cocons. Je prends le cocon, une aiguille, du fil, je le perce, il faut faire attention à ne pas abimer la larve qui est dedans et  percer au milieu pour avoir quelque chose de rectiligne. Il faut aussi maitriser la matière. J’ai fait ce geste plus de 9600 fois. Quand je finis une pièce, je ne peux plus me servir de mes  mains. La douleur est présente. La sculpture, met le corps à l'épreuve. Le corps et le temps.

F.N. : Quelle était ta démarche pour Rosace, la pièce faite en boyaux de porc ?

M.B.-S : Mon intention, pour cette pièce, était toute autre. C’est la matière et le lieu qui m’ont dicté la pièce. Je voulais rendre hommage à David Cronenberg pour son film « eXistenZ » où les personnages vivent leur vie à travers un jeu vidéo et où ils sont en permanence reliés à lui par un cordon ombilical. J'ai voulu faire un énorme cordon ombilical en boyaux de porc.

Il faut parler anatomie. Il y a le gros et le petit intestin dans le porc. J’ai essayé de faire la pièce avec le gros intestin du porc qui est épais. J’ai essayé de le gonfler, de mettre du sable dedans, puis de la mousse polyuréthane. J’ai tout essayé ! L'odeur était épouvantable.

Mais la pièce que j’avais l’intention de faire n’a jamais pu sortir. Forte de cet échec j’ai dû faire autre chose.

Il se trouve qu'on m'a proposé  un lieu pour faire une exposition : une chapelle. Là, le lieu de l’œuvre est important. Dans cette chapelle, il y avait une fenêtre mais pas de vitrail. L’idée m’est venue assez vite d’une rosace en boyau de porc.

J'ai utilisé le petit intestin, acheté chez le charcutier dans la saumure mais qu’il faut encore nettoyer parce que l’odeur est épouvantable. C’était doux, mou et très agréable à toucher.

Malgré mon appel à une chimiste, il y a eu beaucoup d’essais. Je n’ai jamais pu rendre étanche le boyau de porc. La membrane reste poreuse, elle se dégonfle. Rosace est devenue Gorgone du fait de la résistance de la matière. Un amoncellement de boyaux, sous une autre forme.

F.N. : Au regard des matières choisies qu’en est-il du dégoût ?

M.B.-S : C’est vrai que j’aime les matières insolites. Dans ce que je donne à voir, il peut y avoir attrait-répulsion. Par exemple pour les boyaux de porc j’occulte complètement ce qu’ils sont. Mon propos n’est pas de travailler sur la tripaille.  Mais de ce que je peux transformer de la matière compte tenu du sens qui arrive grâce à elle. C'est un travail d'expérimentation, de recherches.

F.N. : Et pour Chimère, ta pièce faite en hosties ?

M.B.-S : J’ai deux pièces en couleur, faites en chambre à air de vélo (Idole et Vanitas-Paon II). Ici mes trois pièces sont blanches. Le blanc, la transparence, la translucidité, l’opalescence de même que l’éphémère m’attirent beaucoup. Les hosties s’inscrivent dans la veine de ces  matériaux J’ai éprouvé à nouveau une grande inhibition devant ces hosties parce que le matériau était très beau. C’est un cercle parfait, blanc, peu épais et translucide devant la lumière. Alors comme pour les cocons j’ai mis beaucoup de temps à trouver l’idée. La matière est première pour moi. Le sens vient ensuite, progressivement.

C’est au cours d’un opéra que j’en ai trouvé sa destination. La crucifixion dans la mise en scène m’a donné l’idée de Chimère où j’ai mélangé la sirène médiévale qui a une queue de poisson et la sirène antique qui a un buste de femme et un corps d’oiseau. Chimère est à la dimension de mon corps. Ce sont mes bras qui montent pour former les ailes et la crucifixion.

Pour Chimère, la confrontation à la matière a été redoutable. J’ai fait un support en grillage  recouvert de film alimentaire et posé petit à petit les hosties trempées dans l’eau, une par une. Il y en a plus de 16600. Répétition du même geste. Pour la deuxième couche d'hosties, ça a été ma salive. Je n’ai pas peur de passer beaucoup de temps sur une pièce. Certains de mes travaux sont sensibles au degré d’humidité de l’air. Pour Chimère ça a été terrible, elle a complètement fermenté. Ce fut un choc ! Il a fallu tout casser et recommencer. Ce sont les aléas de la matière.