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1849 baguettes de verre, isorel, colle, 75 X 45 X 5 cm, 2010

Au rituel du frottement de pied s’oppose celui de l’incrustation obsessionnelle du verre dans l’isorel. Ce n’est pas un défi de fakir, c’est un paillasson hérisson qui se trouve à l’intérieur sur le seuil de sortie.


Martine Bartholini

Ana Samardzija Scrivener, juin 2010
Catalogue des diplômés 2010 de l'Ecole Supérieure des Beaux-Arts de Toulouse, Edition SPECTOR

Le récit silencieux de l’objet-allégorie Ephèmere, composée par Martine Bartholini en 2010, révèle l’obstination, toute de légèreté, des insectes du même nom pour atteindre le coeur incandescent d’une ampoule à l’ancienne : la transgression fantasmagorique de la paroi en verre ayant pour résultat l’extinction de leur vie et de cette lumière tant désirée. Ephémère témoigne avec un humour délicat et mélancolique de la résolution sous forme d’impasse d’une tension essentielle qui anime les recherches artistiques de Martine Bartholini, sculpturales ou plus largement spatiales. La tension est celle entre les forces centrifuges et les forces centripètes, celles qui aspirent au changement, à rayonner vers le dehors, et celles qui cherchent la protection et la plénitude d’un être intérieur impossible. Une résolution plus formelle de cette tension se joue également dans le déplacement progressif de l’accent sculptural entre une exploration de la concentration verticale des premiers travaux de l’artiste vers une extension horizontale des pièces plus récentes. Mais le mouvement centrifuge, le passage vers l’extérieur et la sortie de soi, sont, eux aussi, porteurs d’un deuil sans gravité. Ainsi dans Mues, de 2008, une peau semi-transparente, de cellophane et de colle, une abstraction anatomique qui garde la trace d’une expérience intérieure passée, sans figure identifiable ; une phase du devenir traversée sans nostalgie, mais accueillie et suspendue cependant dans le geste sculptural. Ou encore Bulle, où la force tendre du souffle de l’artiste forme des bulles de verre jusqu’à l’inframince et l’éclatement. L’oeuvre exposée, indissociable de l’expérience de sa production, présente les éclats de verre qui dessinent au sol le périmètre de ce souffle serein dont la trajectoire les a à la fois fait exister et brisés.

« La lumière est une substance ». Cette phrase de James Turrell, souvent citée par Martine Bartholini, nous induit à penser non seulement la lumière mais aussi le souffle, la gravité, l’humidité, voire le temps et la valeur, comme la matière même, l’étoffe de son travail, dont le verre, la cellophane, la colle, les tubes en plastique, le papier, les coquilles d’oeuf sont les matériaux de construction. Un matérialisme de l’intangible et une mise en forme du fragile et de l’inframince caractérisent sa position artistique. Elle questionne avec insistance la valeur du travail par une reprise patiente, répétitive et parfois douloureuse des gestes utilisés dans l’artisanat, l’industrie, les travaux traditionnellement féminins (considérés comme subalternes) et les jeux, pour produire des objets qui à la fois miment la fonctionnalité quotidienne (comme dans arobd ou Welcome) pour mieux se soustraire à toute possibilité d’usage. Mais ce que le travail de l’artiste y incorpore, c’est avant tout le temps, non comme une plus-value, mais comme une survivance irréductible en attente de l’expérience d’un autre pour la réactiver. L’origami Vanitas interroge le plus explicietement la valeur de ces objets de partage que sont les oeuvres d’art. Dérisoire en dernière instance, tout comme notre savoir ou notre avidité, elle semble toutefois excéder sa mesure en termes de prix des matériaux, en termes de temps dépensé (dans la pensée de Martine Bartholini, le temps dépensé ne l’est pas, il est accueilli par ses sculptures), et même en termes de prix symbolique. La valeur est incertaine et de l’ordre de l’événement ; elle surgit à l’endroit où se rencontrent deux affects, deux faibles forces centrufuges : notre attention et le geste de l’artiste qui nous donne à voir.

Depuis 2005, Martine Bartholini souffre d’une grave déficience visuelle. Cette situation a rendu encore plus urgente sa décision de s’engager pleinement dans une pratique artistique. Elle inquiète, d’une manière discrète, l’ensemble de son travail.